Récifs

Choisis la route sans lumière
et mets le feu à tes faux pas

Quelle est la plus belle ?
La vague ou la mer ?

Songe légèrement au sable
il t’endormira grain par grain

Beaucoup plus silencieux les nuages
que la pluie déchiffrant leurs pensées

Frappe à la porte au-dessus de ton nom
elle ouvrira sur les étoiles

La solitude sous un arbre nourrit sa force de ton ombre

Mais toi musique
n’oublie pas de me garder à ta portée !

François MontmaneixL’Abîme horizontal, Éditions La Différence
Partage de Dominique A, heureux facteur poétique

ma chair tremble d’un feu nouveau,

j’arrache mon visage à la douleur,
et mes fleurs ressuscitent du vide,
rescapées du jardin de la nuit
j’entends l’aube frapper à la porte,
j’appelle mon corps, qu’il laisse reposer le lit,
qu’il laisse en paix les draps, dans l’inertie de leurs plis,
songes froissés par les ombres

matin… j’appelle mon corps, qu’il brise le mur des heures lourdes,
qu’il déchire son linceul, qu’il chante debout son poème
assis près de la fenêtre, je défais mes nœuds,
deviens soudain le nid d’une pensée-oiseau,
le ciel me regarde par la vitre, les yeux ivres de lumière…
sur la petite table, la tasse posée, le café médite,
la fumée monte, prière secrète à mes lèvres pour enfanter le jour

Jean d’Amérique, inédit, Ces instants de grâce dans l’éternité, Anthologie, Éditions Le Castor Astral
Partage. Dominique A, heureux facteur poétique

Je commencerai par être le refus

de rêver pareil
le refus
du bureaucrate intérieur
une exaltation sereine
un visage
qui se transforme
en tigre
à chaque émotion
un visage sans visage
qui accueille
tous les visages
un tremblement de ciel
je commencerai par être
jusqu’au paroxysme

Zéno BianuInfiniment proche et Le désespoir n’existe pas, Éditions Gallimard
Partage de Dominique A., heureux facteur poétique

[Nous ne sommes personne]

Nous sommes à peine celui que nous connaissons.
Il y a tellement d’infini derrière celui que nous ne connaissons pas.
Nous sommes d’avant les étoiles, le néant, et nous y retournerons.
Le grand cirque de l’enfance ou de la prise de pouvoir sur les autres
ne nous étourdira jamais assez pour oublier.
Quand les enfants croisent un étranger, ils lui parlent
comme à une grande personne, un être précieux.
Avec les mains, les yeux.
Comme ils parlent aussi aux arbres, aux peluches, aux oiseaux.
Avec le sérieux du premier et du dernier jour.
Ils savent que la vie éternelle tourne en boucle
comme une folle dans leur sang
et que tout se transforme sans cesse
pour danser parmi nous.
Il faut se souvenir de notre première venue ici
comme d’un tremblement dans le feuillage d’un arbre.
Nous sommes tous des réfugiés en fuite
en quête de quelque chose.
[…]
Nous sommes tous des réfugiés
et nous écrivons une histoire prévue pour s’effacer.
Tomber en poussière dans la poussière du monde.
Et ce n’est pas rien cette disparition.
C’est le pollen des fleurs. Le soleil dans les yeux de la mouche.
La flaque bousculée par les pneus du camion.
C’est une histoire cet effacement, c’est la nôtre.

Dominique Sampiero/ Germain Roesz,
Huit millions et demi de roses piétinées au Levant, Éditions Les Lieux-Dits
Partage de Dominique A, heureux facteur poétique.

Je commencerai

par être le refus
de rêver pareil
le refus
du bureaucrate intérieur
une exaltation sereine
un visage
qui se transforme
en tigre
à chaque émotion
un visage sans visage
qui accueille
tous les visages
un tremblement de ciel
je commencerai par être
jusqu’au paroxysme

Zéno BianuInfiniment proche et Le désespoir n’existe pas, Éditions Gallimard
partage de Dominique A., heureux facteur poétique

Nous sommes…

… des ingouvernables
Fous perchés qui résistent
Depuis leur astre lunaire
Fous perchés qui osent y croire encore
Et s’attellent, à cueillir chaque jour
Le jour et l’espérance du jour
Fous perchés qui persistent et signent
Amarrés à la beauté, martèlent et sèment
l’amour et la tendresse
A marée haute
Mettant tant de cœur à l’ouvrage
De vivre en harmonie et de faire de la vie
Une prose commune, cause première
Au-dessus de toutes les causes connues

Marc-Alexandre Oho BambeLa vie poème, Éditions Mémoire d’Encrier
partage de Dominique A., heureux facteur poétique

Ta vie c’est ta vie

ne la laisse pas prendre des coups dans une moite soumission.
guette.
il y a des issues.
il y a une lumière quelque part.
ce n’est peut-être pas beaucoup de lumière
mais elle brise les ténèbres.
guette.
les dieux t’offriront des chances.
connais-les.
prends-les.
tu ne peux pas battre la mort
mais tu peux battre la mort en vie, parfois.
et plus tu apprendras à le faire,
plus il y aura de lumière.
ta vie c’est ta vie.
sache-le pendant qu’elle t’appartient.

Charles BukowskiLe cœur riant, traduction Olivier Favier
Partage de dominique A, heureux facteur poétique

De la douceur

Tout est là : froissements de tissus, ailes brisées,
bruits de salive, claquements, cris, lézardes.
Toutes les musiques du corps,
attachées les unes aux autres, au rythme des choses simples.
Au loin, un ciel pourpre qui s’en va.
Tout près, un étoilement ou une trouée,
quelque chose de flamboyant qui fait signe :
une table d’écriture, une femme assise, étonnée,
les mains pleines d’argile et d’encre.
Elle a posé son corps dans le réel,
dans le brouillard que produit la terre, en se soulevant.
Et son corps – ce sel ramassé dans ses os, sa folle humanité –
veille contre l’oubli.
Elle est là, toujours assise dans le réel,
à se demander si, au ras du sol, le bonheur a un parfum.
Hiver après hiver, elle glisse dans sa voix :
« Cela ressemble à de la douceur. »

Denise DesautelsDe la douceur, Éditions Roselin et La Cour pavée
Partage de Dominique A, heureux facteur poétique

[Je dois marcher encore]

vers les jachères où les sources vives
brassent des runes de rocs et d’ongles.
Ça ulule, ça hurle, les nuits sont glacées,
les étoiles toujours inaccessibles
mais le cœur résonne dans le bois,
dans les pierres.

Tambours, feux couvés.
Flammèches, camouflage des crinières.

Nuques renversées.
Transe insolente.
L’âme s’encorde aux cailloux sorciers.

Cathy Garcia, Fugitive, Cardère éditeur
Partage de Dominique A, heureux facteur poétique

Écouter.

Près de Tovarnik des migrants attendent un bus. On ne les voit pas.

Tous instants décisifs. N’oublier, le monde est là.

Et respirer. Respirer.

Contre l’essoufflement, chaque jour, d’heure en heure,
respirer, chaque jour, respirer, d’heure en heure,
aller un peu plus loin, n’aller nulle part, de bonté et d’ardeur.

Sur la route de rien.

Ce matin, de nuit encore,
cette folie de sauter pieds nus,
l’herbe drue de rosée froide, dehors,
jaillissant du sommeil, dehors.

Pas de peur, pas mourir, pas aujourd’hui.

4° ce matin.

Je crois qu’il n’y a pas de lumière en ce monde sinon ce monde 
(nous avions tout perdu en aimant) […]

Claude FavreSur l’échelle danser, Éditions série discrète
Partage de Dominique A. Heureux facteur poétique