Un poème parfois,

ce n’est pas grand-chose.
Un insecte sur ta peau dont tu écoutes la musique des pattes.
La sirène d’un bateau suivie par des oiseaux, ou un pli de vagues. Un arbre un peu tordu qui parle pourtant du soleil.
Ou souviens-toi, ces mots tracés sur un mur de ta rue :
« Sois libre et ne te tais pas ! ».
Un poème parfois, ce n’est pas grand-chose.
Pas une longue chanson, mais assez de musique pour partir
en promenade ou sur une étoile,
à vue de rêve ou de passant.
C’est un aller qui part sans son retour
pour voir de quoi le monde est fait.
C’est le sourire des inconnus
au coin d’une heure, d’une avenue.
Au fond, un poème, c’est souvent ça,
de simples regards, des mouvements de lèvres,
la façon dont tu peux caresser une aile, une peau, une carapace, dont tu salues encore ce bateau qui ouvre à peine les yeux,
dont tu peux tendre une main ou une banderole,
et aussi la manière dont tu te diras :
« Courage ! Sur le chemin que j’ai choisi, j’y vais, j’y suis ! ».
Un poème, à la fois, ce n’est pas grand-chose
et tout l’univers.

Carl Norac, inédit pour le printemps des poètes

mon Grand-père

De l’autre côté de la nuit
l’attend son nom
son subreptice désir de vivre,
de l’autre côté de la nuit !
Quelque chose pleure dans l’air,
les sons dessinent l’aube.
Elle pense à l’éternité.
Alejandra PizarnikLa dernière innocence, traduction Jacques Ancet, Éditions Ypsilon

Del otro lado de la noche
la espera su nombre
su subrepticio anhelo de vivir,
del otro lado de la noche !
Algo llora en el aire,
los sonidos diseñan el alba.
Ella piensa en la eternidad.
Alejandra Pizarnik

Je suis couverte de petits miroirs

Je tournoie comme un ballon de plage.
Je peux être aveuglante.
Qui me regarde croit me voir.
Qui me regarde se voit lui-même.
Sa propre grimace monstrueusement déformée.
Qui me fuit se chasse lui-même.
Je suis couverte de petits miroirs.
Les bords coupent ma propre chair.
Je suis :
une mosaïque chatoyante
avec des jointures rouges molles
et un cœur blanc comme neige –

Eva CoxPritt.stift.lippe. 
Traduction de Kim Andringa

A l’aube,

tu descendras pieds nus
Boire à la rivière
Comme ces chats muets
Aux pattes cramoisies

Tu glisseras sur les pentes
Endormies de plaisir
Suivre la piste argentée
Des limaces écrasées

Tu iras au midi chercher l’évidence
Qu’un jour ici tu as vécu
Qu’il y avait des enfants, des amis,
Un amour, une constance

De tout cela demeurent
Que le ciel bas, les herbes grasses
L’eau violente,
Les ruches abandonnées

Tu tends l’oreille
Aux voix des absents
Jusqu’à ce que la nuit enfin
Consente à te parler.

Ananda DeviQuand la nuit consent à me parler, Éditions Bruno Doucey

Je ne suis pas pressé.

Pressé pour quoi ?
La lune et le soleil ne sont pas pressés : ils sont exacts.
Être pressé, c’est croire que l’on passe devant ses jambes
Ou bien qu’en s’élançant on passe par-dessus son ombre.
Non, je ne suis pas pressé.
Si je tends le bras, j’arrive exactement là où mon bras arrive.
Pas même un centimètre de plus.
Je touche là où je touche, non là où je pense.
Je ne peux m’asseoir que là où je suis.
Et cela fait rire comme toutes les vérités absolument véritables,
Mais ce qui fait rire pour de bon c’est que nous autres nous pensons toujours à autre chose
Et sommes en vadrouille loin d’un corps.

Fernando PessoaPoèmes païens,
Traduction Michel Chandeigne, Patrick Quillier et M.A. Camara Manuel, Éditions Points

Partage de D.Angelvy, Narbonne