Ta vie c’est ta vie

ne la laisse pas prendre des coups dans une moite soumission.
guette.
il y a des issues.
il y a une lumière quelque part.
ce n’est peut-être pas beaucoup de lumière
mais elle brise les ténèbres.
guette.
les dieux t’offriront des chances.
connais-les.
prends-les.
tu ne peux pas battre la mort
mais tu peux battre la mort en vie, parfois.
et plus tu apprendras à le faire,
plus il y aura de lumière.
ta vie c’est ta vie.
sache-le pendant qu’elle t’appartient.

Charles BukowskiLe cœur riant, traduction Olivier Favier
Partage de dominique A, heureux facteur poétique

De la douceur

Tout est là : froissements de tissus, ailes brisées,
bruits de salive, claquements, cris, lézardes.
Toutes les musiques du corps,
attachées les unes aux autres, au rythme des choses simples.
Au loin, un ciel pourpre qui s’en va.
Tout près, un étoilement ou une trouée,
quelque chose de flamboyant qui fait signe :
une table d’écriture, une femme assise, étonnée,
les mains pleines d’argile et d’encre.
Elle a posé son corps dans le réel,
dans le brouillard que produit la terre, en se soulevant.
Et son corps – ce sel ramassé dans ses os, sa folle humanité –
veille contre l’oubli.
Elle est là, toujours assise dans le réel,
à se demander si, au ras du sol, le bonheur a un parfum.
Hiver après hiver, elle glisse dans sa voix :
« Cela ressemble à de la douceur. »

Denise DesautelsDe la douceur, Éditions Roselin et La Cour pavée
Partage de Dominique A, heureux facteur poétique

[Je dois marcher encore]

vers les jachères où les sources vives
brassent des runes de rocs et d’ongles.
Ça ulule, ça hurle, les nuits sont glacées,
les étoiles toujours inaccessibles
mais le cœur résonne dans le bois,
dans les pierres.

Tambours, feux couvés.
Flammèches, camouflage des crinières.

Nuques renversées.
Transe insolente.
L’âme s’encorde aux cailloux sorciers.

Cathy Garcia, Fugitive, Cardère éditeur
Partage de Dominique A, heureux facteur poétique

Écouter.

Près de Tovarnik des migrants attendent un bus. On ne les voit pas.

Tous instants décisifs. N’oublier, le monde est là.

Et respirer. Respirer.

Contre l’essoufflement, chaque jour, d’heure en heure,
respirer, chaque jour, respirer, d’heure en heure,
aller un peu plus loin, n’aller nulle part, de bonté et d’ardeur.

Sur la route de rien.

Ce matin, de nuit encore,
cette folie de sauter pieds nus,
l’herbe drue de rosée froide, dehors,
jaillissant du sommeil, dehors.

Pas de peur, pas mourir, pas aujourd’hui.

4° ce matin.

Je crois qu’il n’y a pas de lumière en ce monde sinon ce monde 
(nous avions tout perdu en aimant) […]

Claude FavreSur l’échelle danser, Éditions série discrète
Partage de Dominique A. Heureux facteur poétique