Père

les derniers mots que nous avons échangés
Seront-ils les derniers que nous échangerons ?
Après ta mort le silence s’amasse, cendreux.

Parfois ton fantôme muet me rend visite
Je lui pose des questions, il fixe le sol
tristement, j’écris et je lui cherche une voix

partout, dans les livres, les souvenirs, les trous
dans les murs, une langue, un poème sans titre
où déposer tout ce que tu me répétais.

Arrivée devant une porte trouve un moyen
pour l’ouvrir, si tu y parviens garde-la
ouverte pour que d’autres puissent entrer.

Une diseuse de bonne aventure avait lu
dans les lignes de tes mains une vie d’exil
les pieds dans la boue, du riz amer dans la bouche.

Une vie sans limites, mais pas sans obstacles.

Sabine HuynhPoème inédit, Frontières Petit atlas poétique, Éditions Bruno Doucet

Croissant lunaire

Tu as aminci ta douleur.

En garçon, sur la frontière,
tu l’as placée comme une piastre sous les roues d’un train
et une fille que tu aimais l’a portée en collier dans les champs.

Des trafiquants t’ont enseigné à doucement la marteler
dans la nuit avec les maillets des voleurs
et cacher aux autres les empreintes de tes doigts.

Tu l’as effilée par le silence
et par les longues marches
jusqu’à ce qu’elle soit transparente et dure
comme un ongle coupé disparu dans le tapis du temps.

Et quand tu l’as retrouvée
elle était devenue lune affamée par l’amour.
Au ciel de ton âme tu la suspendis
et veillas la nuit en solitaire
attendant l’appel pour le jour de fête.

Golan HajiLyrikline.org, traduction Jean-René Lassalle
Partage de Dominique A., heureux facteur poétique